L’exception qui fait l’histoire.
Dans notre histoire, le logement social s’est constamment révélé comme un terrain fertile pour l’innovation, anticipant les modes d’habitats, les modèles urbains et même les dynamiques sociales. Figure d’exception et souvent décrié au travers de l’histoire, il s’avère pourtant être un véritable foyer d’innovations à la pointe des avancées architecturales. Le logement moderne aurait-il existé de la même manière et aurait-il pu être diffusé si rapidement, si le logement social n’avait pas tenté l’aventure en premier au milieu du 20e siècle ? Les premières cités ouvrières, les HBM ou plus proche de nous des expérimentations comme le Nemausus ont permis, à chaque époque, au logement et à la ville d’avancer vers leurs futurs.
Décences des logements
Le 20e siècle, a été marqué par une nette augmentation du confort et de la décence des logements, qui été plus que nécessaire. Si la présence d’une salle de bain ou d’un wc dans tous les logements nous semble actuellement anodine, c’était de l’ordre de l’exceptionnel en sortie de guerre. Cette dynamique a été largement portée par les courants architecturaux de l’époque, les politiques de reconstruction et les bailleurs sociaux qui sont les premiers à avoir proposé des logements modernes à une large population. Le parc social été alors un terrain d’expérimentation et d’innovation qui a préfiguré les modes de vies que nous connaissons. Aujourd’hui encore, les organismes HLM relèvent le défi majeur de notre époque qu’est le changement climatique. L’efficacité énergétique du parc social est supérieure à celle du parc privé, et la taille des opérateurs permet des investissements massifs dans la rénovation du parc qui ne l’est pas encore. Là encore, la voie est ouverte, les expérimentations réalisées prouvent que le logement peut marcher vers son avenir et sur des volumes importants.
Assouplissement des règles
Ces innovations reposent bien souvent sur un assouplissement de règles, que l’on voit souvent comme une exception, mais qui est bel et bien une préfiguration de celles à venir, tant elles permettent à la ville de demain d’exister. On peut citer notamment l’assouplissement du Plan Local d’Urbanisme (PLU) en ce qui concerne les normes de stationnement. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour savoir que l’usage de la voiture tend à se restreindre, notamment en zone dense et périurbaine. À ce jour, il n’est pas rare que l’imposition de places de stationnement bloque un programme immobilier, soit par l’incapacité technique de les créer, soit par leur coût exorbitant. De plus, n’oublions pas que les coûts sont toujours supportés par les usagers finaux, qui voient leur logement se réduire et le prix de leur stationnement dépasser celui d’une chambre en plus. Depuis longtemps, la proximité des transports exonère les programmes sociaux de stationnement et finalement, n’est-ce pas vertueux et généralisable à tous les programmes dans des secteurs où l’usage de la voiture est devenu, pour beaucoup, exceptionnel ?
Encadrement des loyers
L’inspiration ne s’arrête pas là, et on peut voir naître dans différentes villes de France des politiques d’encadrement des loyers qui ne sont pas sans rappeler celles pratiquées dans le logement social. Ces dispositifs nouveaux inquiètent bien des bailleurs sur les seuils de rentabilité. Pourtant, depuis près d’un siècle, les bailleurs sociaux continuent d’investir et de produire des logements bien en dessous des prix du marché et ce en maintenant leur organisme à flot.
Cette politique d’encadrement est certes largement perfectible, mais elle n’a plus à prouver son aspect vertueux tant elle évite de précariser un peu plus encore les Français. L’histoire nous l’a prouvé une situation de mal logement entraine toutes les peines du monde (maladie, pauvreté, insécurité…), aggravant le poids sur la société. Alors là encore, pourquoi ne pas repenser le modèle de l’investissement en s’inspirant des bailleurs et créer un modèle d’investissement vertueux pour les investisseurs et les locataires.
Un modèle exceptionnel qui permet de résoudre une équation complexe ?
Cela est rendu possible car, le financement du logement social repose principalement sur un système d’épargne vertueux au travers du Livret A, qui est plébiscité par les Français. Ce dispositif, quasiment isolé de l’économie mondiale et à faible coût, soutient des politiques de construction ambitieuses depuis plus d’un siècle. Accompagné de subventions pour les logements destinés aux plus démunis (PLAI et PLUS), ce mécanisme a permis la construction d’un parc social à travers le pays, offrant aujourd’hui à près de 11 millions de locataires des logements décents à des tarifs abordables.
Les avantages financiers du logement social, tels que les prêts à taux bas, les subventions et les exonérations de taxe foncière, constituent un pilier essentiel de ce modèle, favorisant la création d’une offre de logement abordable. Malgré les crises successives, la solidité du modèle permet aux bailleurs de continuer leur mission sans compromis sur la qualité de l’offre proposée.
Le financement de ce modèle par l’État suscite des débats, mais il est crucial de considérer la réalité des aides actuelles et de reconnaître que de nombreux programmes privés sont également soutenus par l’État, bien que de manière indirecte. Les politiques de défiscalisation représentent une forme de soutien étatique tout aussi importante que les subventions ou la TVA à taux réduit.
En fin de compte, la spécificité du modèle social ne réside pas tant dans ses mécanismes de subvention ou sa fiscalité que dans son lien privilégié à l’épargne des Français. En rémunérant les économies de chacun, le logement social remplit un double service : fournir un logement décent à nos concitoyens tout en préservant leurs économies.
Une autre caractéristique exceptionnelle, non négligeable, est la taille des organismes. Véritables mastodontes, leur stabilité et leur envergure leur permettent de réduire les risques, de disposer d’équipes dédiées et de construire des logements en tenant compte de critères autres que la rentabilité seule et ce même en temps de crise.
Quel est le poids du logement pour les Français ?
L’essor rapide des coûts immobiliers sur deux décennies a engendré une précarisation significative de nos concitoyens. Dans une quête constante de rentabilité, les prix des logements ont évolué selon deux tendances :
- D’une part, une hausse substantielle des prix de vente, stimulée par le désir naturel et normal de chaque acteur économique de réaliser des profits sur ses actifs. Cette situation a conduit à une impossibilité, pour de nombreux ménages, jeunes ou non, d’acquérir un logement adapté à leurs besoins.
- D’autre part, une recherche de rentabilité toujours plus élevés au mètre carré, surtout dans les zones les plus prisées. Cette tendance découle logiquement de la première, car un investisseur qui dépense davantage pour ses biens immobiliers doit augmenter ses revenus locatifs pour maintenir son investissement rentable. Étant donné que l’augmentation des loyers est encadrée il reste deux solutions : réduire les frais d’entretien ou subdiviser les grands logements en espaces plus petits. Le résultat est flagrant on constate : une diminution des grands logements adaptés aux familles dans les zones denses, une hausse du taux d’effort financier atteignant près de 50 % des revenus pour les plus petites surfaces et une augmentation des situations de surpeuplement dans de nombreux foyers français. Concernant la réduction des coûts d’entretien cela entraîne un déclin du confort des habitations, et accroit le poids économique pour les occupants (réparation de fortune, impact sur la santé, …).
Nul n’est responsable de cette situation, et personne ne contrôle le marché. La crise que nous traversons en est témoin : nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, les spectateurs de ce système et cherchons tous la meilleure solution à un moment donné. Mais les crises ont au moins une vertu, elle nous oblige à questionner la pertinence de nos modèles et c’est ce qui se passe avec nombre d’acteurs parmi les plus résilients qui cherchent à relancer la machine. Attention toutefois, il convient de se méfier des fausses bonnes idées qui abondent!
Certains voient dans le démembrement une solution miracle pour soutenir la production de logements. L’idée de devenir propriétaire d’une partie du bien peut sembler attrayante, avec l’impression évidente de payer moins cher. Cependant, il est crucial de ne pas se tromper : cela représente une atteinte grave au droit de propriété et à l’essence même de notre pays, qui a toujours considéré la propriété comme un droit fondamental. La démanteler ne serait rien de moins qu’une mutilation ultime de notre patrimoine (article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen).
Certains considèrent la colocation comme une solution miracle, car elle permet de réduire considérablement les coûts pour les locataires tout en maintenant le seuil de rentabilité pour les propriétaires. Adaptée à de nombreux concitoyens fuyant la solitude ou cherchant à partager les frais d’un logement pendant leurs études, sa généralisation ne semble cependant pas vertueuse en raison du risque de surpeuplement qu’elle pourrait entraîner. Il est crucial de se rappeler que cela contreviendrait à toutes les normes de décence qui ont contribué à l’amélioration globale du confort des logements dans notre pays. Le surpeuplement des logements n’engendre que des désagréments et des situations familiales complexes, comme en témoignent les expériences vécues pendant le confinement.
Ces réponses sont pertinentes lorsqu’on les examine uniquement sous l’angle financier. Cependant, la crise du logement engendre des souffrances physiques bien réelles. Alors que l’économie peut se réinventer pour trouver de nouvelles sources de richesse, il semble plus complexe de modifier la nature humaine pour l’adapter aux défauts de confort. Par conséquent, il est impératif de remettre en question le modèle actuel afin d’interrompre ces économies. Comme le soulignait l’abbé Pierre, “ce que l’on ne met pas dans le logement, c’est ce que l’on prépare pour les hôpitaux, les prisons ou les asiles de fous !”
En quoi le modèle du logement est une source d’inspiration pour relever les défis qui sont les nôtres ?
Alors, que faire ? En quoi le modèle du logement social pourrait-il être une solution ? Bien que cette perspective puisse sembler peu conventionnelle, prenons un moment pour nous recentrer sur les principes fondamentaux.
La politique du logement doit répondre à un enjeu simple : offrir à tous les ménages un logement décent, répondant à des normes de salubrité et de confort, tout en restant financièrement accessible à chaque situation de vie des Français. Considérer le logement à travers cette priorité essentielle, avant d’aborder ses aspects patrimoniaux et financiers, semble être une démarche raisonnable.
Repartons de la structure actuelle du logement. Le droit de propriété est plein ce qui constitue une exception et une richesse pour notre pays à ne surtout pas dénaturer. Le financement est basé sur un système d’emprunts à long terme qui permet à de nombreux concitoyens de garantir leur retraite, constituer un patrimoine ou assurer leur avenir. Encourager l’accession à la propriété demeure économiquement avantageux, tandis que la location doit être soutenue en tant que solution adaptée pour tous. Rendez-vous ici pour en savoir plus sur l’intérêt d’acheter ou de rester locataire.
À partir de ces prémisses, et sans exclure la propriété individuelle, il est raisonnable de considérer qu’offrir une offre locative de qualité est une nécessité pour la part importante de la population qui n’est pas, et ne sera probablement jamais, propriétaire (soit 43 % des ménages).
Dès lors confier cette mission à des organismes similaires aux bailleurs sociaux, deviendrait intéressant. Cela permettrait des investissements plus importants, un entretien du patrimoine plus soutenu, la prévention de la disparition des grands logements et d’une offre de logements abordables. Ce modèle n’est pas nouveau, nos voisins autrichiens l’expérimentent depuis près d’un siècle à Vienne, avec le plus grand parc de logements publics en Europe.
Mais alors, que deviendrait l’investissement immobilier en tant que placement ? Souvent considéré comme le Saint Graal de la sécurité financière et comme un moyen d’accéder à une rente à vie, l’investissement dans l’immobilier reste néanmoins risqué, avec des problèmes de liquidité en cas de crise, des frais récurrents et des aléas avec les locataires. Quand une personne s’endette pour acquérir un seul logement en location en vue de préparer sa retraite elle joue en réalité avec le feu. Les gains sont en réalité bien souvent faibles et les risques de pertes reste constamment très élevés, ce qui vaut pour certains épargnant d’avoir travaillé toute leur vie pour leur investissement plutôt que l’inverse.
De fait, pourquoi ne pas accorder notre confiance aux bailleurs, comme nous le faisons avec les SCPI? L’épargne serait massivement gérée par des sociétés sûres, diversifiées, dont c’est le métier. Les épargnants n’auraient plus à se soucier de la gestion et ne miseraient pas tout sur un seul bien. Ces fonds serviraient à produire une offre de qualité pour tous, offrant ainsi deux services aux Français : un logement décent et une croissance de leur épargne.
Du côté des locataires, pourquoi ne pas revoir la structure des baux pour proposer des formats proches de l’accession à la propriété, mais avec des taux d’efforts nettement plus faibles ? A ce titre, les baux emphytéotiques constituent une approche intéressante pour ménages occupants qui est encore peu explorée dans notre modèle.
En fin de compte, ce modèle, qui étend l’exception du logement social à l’ensemble des logements, permettrait une gestion exemplaire des parcs de logements par des professionnels disposant de la capacité d’investissement, du temps et du savoir-faire nécessaires. Chaque épargnant, propriétaire de ses parts, percevrait des revenus fixes et bénéficierait de la valorisation de ses parts à la revente. Finalement, cela ne changerait pas grand-chose du côté des propriétaires investisseurs, mais ce léger changement de paradigme pourrait résoudre bien des maux qui gangrènent le logement aujourd’hui.